Chaque fois que vous passez dans ma vie...

Manuscrit Léo Ferré, 1963

Mon cher Hubert Grooteclaes,

Chaque fois que vous passez dans ma vie, avec vos boîtes magiques, il en résulte pour moi une nouvelle raison de croire en un Art que je tenais, jusqu 'à vous, pour un compromis fâcheux entre le commerce de l'image et l'intempérance du blanc et du noir.
Il est difficile pour un photographe de prétendre à l'originalité quand son originalité, pour l'entendement commun, consiste à se servir des derniers appareils, de la plus récente cellule, de la pellicule la plus fidèle, du papier au grain le plus sobre et de la dernière soie...
Votre appareil à vous est dans votre poésie. Vous êtes un artiste et les techniques que vous employez restent un moyen de s'exprimer alors que dans d'autres mains, trop souvent, elles ont la pâleur de l'artifice et l'incroyable démangeaison des conquêtes publicitaires.
Dans vos photographies, il passe quelque chose "en plus", ce que les italiens appellent le "NON SO CHE", la dernière auberge des critiques et des experts désarmés.
Permettez-moi de vous remercier et de vous féliciter pour être l'homme avant le déclic, pour être le vol avant l'oiseau qui doit forcément sortir de vos boîtes amicales.

Bien à vous


Léo FERRÉ
Le Guesclin, le 14 juillet 1963