Je vous écris d'une retraite campagnarde...

 

Je vous écris d'une retraite campagnarde ou je cultive la rose et le beau.


Les choses étant ce qu'elles sont, je vous suppose conscient avec moi que sur le plan image, la Wallonie accuse un retard de 20 ans sur nos voisins du Nord.
Il n'est évidemment pas question de rattrapper ces gens-là, sinon la constance dans l'effort ne serait pas payante, mais simplement de sta­biliser le fossé que nous ont creusé des gens qui n'ont gardé de la créativité que les renvois. Nous pourrions laisser à nos petits enfants un retard d'un siècle.
Des loisirs et certaines facilités me permettent de vous faire une proposition: cela intéresserait-il la ville que je me mette gracieusement à sa dis­position pour changer l'image? Il m'est apparu élémentaire que ce soit la ville qui donne l'exemple.
J'ai quitté un studio en ville après 17 ans de loyaux services à l'image. A cette occasion, j'ai pu dire à la radio que je me taillais et que je donnais tout ce que j'avais gratuitement à condition bien sur que ce soit utilisé. Personne n'est venu! On en est là!
Au moment où l'on parle tellement de changement, il serait peut-être bon de commencer par changer l'image, habituer les gens au beau au lieu de l'horreur. Et comme cela, j'aurais fait ce que je dois faire pour mes élèves à qui j'enseigne le beau, cette denrée morte.


C'est parce que je crois toujours à un nouvel âge d'or de la photo­graphie, c'est parce que le rêve aide à vivre que je me bats en pensant à ces jeunes nantis de talent qui devront le rentrer en dedans d'eux.
Ce siècle où on ne choisit plus, on prend.
Je suis sans couleur politique.
Si les affiches crachaient.
Je m'intéresse à une denrée qui n'a plus cours: la beauté.
Et j'en arrive à me poser cette question: Est ce honnête de ma part de leur enseigner le beau alors que je suis pertinement conscient de ce qu'ils ne pourront surnager dans ce torrent de médiocrités qu'on demandera à ceux qui s'accrochent à la barque des commandes?
Pour qu'au moins les meilleurs en sortent.
J'ai bien peur que cette lettre ne serve à rien mais je l'avais dans la peau depuis très longtemps et il fallait que je la poste (crache)
Voila, la situation est bien simple. Nous sommes arrivés en Wallonie à ne plus avoir besoin du beau (travail). C'est tragique.
Le beau, c'est un peu comme les 11 programmes de l'A.L.E. Les gens ont 11 raisons de s'en foutre. L'horreur ne dérange même plus. Elle s'est installée sournoisement dans le gris de tous les jours.


Dans ce monde de combinards, je ne pense qu'aux artistes. Un pays sans artistes est mort. Dans la société-combine. Pour que l'étalonnage des valeurs garde un sens. Je vous demande l'effort de participation (air connu aujourd'hui).
A la remorque de ceux pour qui l'argent n'a pas d'odeur. Nous sommes tous responsables.

Hubert Grooteclaes

(texte dactylographié, non publié)